Le 1er février 1834, Lafayette se rend aux obsèques d’un député où il prend froid. Dans les mois suivants, les sorties se font plus éprouvantes. Jules Cloquet, son médecin personnel, se veut réaliste, Cristina Belgiojoso, la jeune carbonara, se veut rassurante. Dehors, Adolphe Thiers écrase une nouvelle révolte ouvrière de canuts.

Lafayette, qui n’aura pas connu de stabilité politique, s’éteint le 20 mai 1834. Les hommages sont nombreux, particulièrement aux Etats-Unis. Deux jours plus tard, le convoi funéraire traverse Paris. L’inhumation a lieu au cimetière de Picpus où l’attend Adrienne.

Le président Andrew Jackson proclame un deuil national et l’ex-président John Quincy Adams fait un éloge de trois heures devant le Congrès. « C’était dans tous les journaux, tous les magazines. La mort de Lafayette fut un événement national aux Etats-Unis. »

« Aux Etats-Unis, ce fut un deuil national. La Fayette avait eu soin de se tenir constamment en dehors des partis et il avait conservé ainsi intacte sa popularité. On était encore sous l’impression de l’apothéose de 1824 et de 1825. Le 24 juin 1834, le Sénat et la Chambre des Etats-Unis, assemblés en Congrès, prirent une délibération exprimant leurs regrets de la mort du général La Fayette, l’ami des Etats-Unis, l’ami de Washington, l’ami de la liberté, et portant qu’une lettre de condoléance serait écrite à George-Washington La Fayette, que les membres des deux Chambres porteraient un signe extérieur de deuil pendant trente jours, que le peuple serait invité à faire de même, que les salles de délibération seraient tendues de noir pendant la session, et que M. John-Quincy Adams prononcerait un discours sur la vie et le caractère du général La Fayette. Le mercredi 31 décembre 1834. John-Quincy Adams s’acquitta de sa tâche devant le Congrès avec une éloquence et une élévation de pensée dignes du sujet, et les deux Chambres votèrent l’impression de son discours à soixante mille exemplaires. »

Etienne Charavay, Le Général La Fayette, Société de l’Histoire de la Révolution, 1898, p. 334

« Enfoncé Lafayette !... Attrappe, Mon Vieux ! » bougonne Louis-Philippe en feignant la tristesse dans le cimetière où la dépouille mortelle du général est accompagnée par une foule nombreuse. »

Daumier / Honoré / 1808-1879 / 0480. [estampe] Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France

« Toutes les personnes distinguées qui se trouvaient à Paris dans les deux Chambres législatives, les académies, l’administration civile et militaire, la garde nationale, les étrangers, les réfugiés, se réunirent pour assister à son enterrement. » « Les coins du drap mortuaire étaient portés par MM. Jacques Laffitte, Salvestre et Odilon-Barrot, pour la Chambre des Députés ; M. Eugène Laffitte, pour la garde nationale ; M. le général Fabvier, pour l’armée ; M. Barton, secrétaire de légation, en l’absence de son beau-père M. Livingston, pour les Etats-Unis d’Amérique ; M. le général Ostrowski pour la Pologne, et un électeur de Meaux pour les collèges électoraux. » « Bastien suivait immédiatement, portant sur un coussin de velours noir l’épée et les épaulettes de Commandant de la garde nationale qu’avait illustrées Lafayette. »

Jules Germain Cloquet, Souvenirs sur la vie privée du général Lafayette, Paris, Galignani, 1836

Lafayette sur son lit de mort, Ary Scheffer, Blérancourt, musée franco-américain du château de Blérancourt/Gérard Blot

« Il a fallu plus de quarante années pour que l’on reconnût dans M. de La Fayette des qualités qu’on s’était obstiné à lui refuser. A la tribune, il s’exprimait facilement et du ton d’un homme de bonne compagnie. Aucune souillure n’est attachée à sa vie ; il était affable, obligeant et généreux. Sous l’Empire, il fut noble et vécut à part ; sous la Restauration, il ne garda pas autant de dignité ; il s’abaissa jusqu’à se laisser nommer le vénérable des ventes du carbonarisme, et le chef des petites conspirations ; heureux qu’il fut de se soustraire à Béfort à la justice, comme un aventurier vulgaire. Dans les commencements de la Révolution, il ne se mêla point aux égorgeurs ; il les combattit à main armée, et voulut sauver Louis XVI ; mais, tout en abhorrant les massacres, tout obligé qu’il fut de les fuir, il trouva des louanges pour des scènes où l’on portait quelques têtes au bout des piques. M. de La Fayette s’est élevé parce qu’il a vécu : il y a une renommée échappée spontanément des talents, et dont la mort augmente l’éclat en arrêtant les talents dans la jeunesse ; il y a une autre renommée, produit de l’âge, fille tardive du temps ; non grande par elle-même, elle l’est par les révolutions au milieu desquels le hasard l’a placée. Le porteur de cette renommée, à force d’être, se mêle à tout ; son nom devient l’enseigne ou le drapeau de tout : M. de La Fayette sera éternellement la garde nationale. Par un effet extraordinaire, le résultat de ses actions était souvent en contradiction avec ses pensées ; royaliste, il renversa en 1789 une royauté de huit siècles ; républicain, il créa en 1830 la royauté des barricades : il s’en est allé donnant à Philippe la couronne qu’il avait enlevée à Louis XVI. Pétri avec les événements, quand les alluvions de nos malheurs se seront consolidées, on retrouvera son image incrustée dans la pâte révolutionnaire. […] Dans le nouveau monde, M. de La Fayette a contribué à la formation d’une société nouvelle ; dans le monde ancien, à la destruction d’une vieille société : la liberté l’invoque à Washington, l’anarchie à Paris. M. de La Fayette n’avait qu’une seule idée, et malheureusement pour lui elle était celle du siècle ; la fixité de son idée a fait son empire ; elle lui servait d’œillère, elle l’empêchait de regarder à droite et à gauche ; il marchait d’un pas ferme sur une seule ligne ; il s’avançait sans tomber entre les précipices, non parce qu’il les voyait, mais parce qu’il ne les voyait pas ; l’aveuglement lui tenait lieu de génie : tout ce qui est fixe est fatal, et ce qui est fatal est puissant. Je vois encore M. de La Fayette, à la tête de la garde nationale, passer, en 1790, sur les boulevards pour se rendre au faubourg Saint-Antoine ; le 22 mai 1834, je l’ai vu, couché dans son cercueil, suivre les mêmes boulevards. Parmi le cortège, on remarquait une troupe d’Américains ayant chacun une fleur jaune à la boutonnière. M. de La Fayette avait fait venir des Etats-Unis une quantité de terre suffisante pour le couvrir dans sa tombe, mais son dessein n’a point été rempli. […] J’étais dans la foule, à l’entrée de la rue Grange-Batelière, quand le convoi de M. de La Fayette défila : au haut de la montée du boulevard, le corbillard s’arrêta ; je le vis, tout doré d’un rayon fugitif du soleil, briller au-dessus des casques et des armes : puis l’ombre revint et il disparut. »

François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe